Il y a 82 ans, Ében-Émael !

Une réédition pour une reddition !

À l’occasion de cet anniversaire, les éditions Weyrich ont réédité Ében-Émael, L’autre vérité ; le premier ouvrage jamais publié faisant réellement la lumière de ce qu’il s’est passé pendant les 36 heures tragiques du siège du fort. Une réédition pour une reddition !

Personne au portillon !

Pour rendre un fort, il faut commencer par en faire sortir un parlementaire. Outre l’officier, il faut un clairon et un porteur de drapeau blanc. Léon Demoulin le porte : « Ce drapeau était constitué par un morceau de drap de lit attaché à un manche de brosse et on me mit celui-ci entre les mains. »

De la discussion que j’entendis entre les deux capitaines, j’ai retenu que Hotermans disait« Je suis le plus ancien officier du fort. Je ne rendrai pas mon fort. Vas-y. » Vamecq rétorquait : « Tu oublies que j’ai charge de famille et c’est à toi que l’on a confié cette mission. »

Il faut trancher ! De la poterne, le capitaine Hotermans téléphone au major « qu’il désire être remplacé dans sa mission de parlementaire. » Le commandant du fort dit au lieutenant Polis: « Fais chercher le capitaine Vamecq. Puisqu’il a proposé la reddition, il n’a qu’à sortir comme parlementaire. »

Reprenons le récit de Demoulin : « À un moment donné, le capitaine Vamecq me dit ‘‘Avancez’’. J’exécutai l’ordre. Il me suivit ou plutôt nous marchions de front vers la poterne, le couloir était absolument désert. Arrivé à mi-chemin entre la salle des machines et la poterne d’entrée, le capitaine s’arrêta et me dit ‘‘Sonnez’’.

– Mais, mon capitaine, je n’ai jamais soufflé là-dedans !

– Ah, mais cela ne va plus alors !

Demi-tour du capitaine. Je le suivis. Revenu à notre point de départ, le capitaine dit à l’autre :

– Comment veux-tu que je sorte avec un homme qui n’a jamais soufflé dans une trompette !

– Ah ! Pourquoi ne l’aviez-vous pas dit ?

De nombreux appels retentirent dans le couloir ; on demande un trompette volontaire pour la reddition du fort. Un homme se présenta. Je lui remis l’instrument. On me pria de garder le drapeau. Le capitaine Vamecq me donna à nouveau l’ordre d’avancer. À présent, nous étions trois. En cours de route, le capitaine donna l’ordre au clairon de sonner. C’était lugubre. Les détonations et les explosions se faisaient de plus en plus entendre de l’extérieur. Nous arrivâmes ainsi derrière le mur qui nous séparait de la poterne. La grande porte hermétique était fermée. Derrière celle-ci, des barrages de poutrelles étaient en place. À droite, le fusil-mitrailleur était là, abandonné.

La porte du corps de garde était ouverte, mais à ce moment-là, je ne l’avais pas vue, car en temps de paix l’entrée et la sortie se faisaient toujours par les locaux de désinfection situés à gauche lorsqu’on veut sortir du fort ; j’ouvris la porte de la 1re salle et nous y entrâmes. Sur ordre du capitaine, le clairon sonna. À ce moment, une violente déflagration retentit et, comme les murs de cette salle étaient garnis d’armoires en tôle galvanisée, la vibration des tôles provoqua un tel vacarme que nous eûmes tous trois un mouvement de recul ; le capitaine rebroussa chemin et nous également. De retour à la hauteur de la salle des machines, le capitaine qui nous commandait dit au plus ancien, qui était toujours au même endroit :

– Il est impossible de sortir sous un tel feu.

Hotermans : ‘‘Vous êtes-vous montrés ? Il est un fait évident que si vous ne montrez pas de drapeau blanc, l’ennemi poursuivra son attaque. Vous devez absolument vous montrer.’’

Résigné, le capitaine Vamecq que nous accompagnions nous donna ordre de reprendre le chemin de la sortie. Le même scénario que les précédents se renouvela. En cours de route, je me rendais à présent mieux compte du rôle qui m’était dévolu et auquel, sous peine d’être un lâche, je me devais de faire face. Arrivé au bout du couloir, je vis que la porte du corps de garde était ouverte et que c’était par là que je devais sortir. C’est ainsi, du moins, qu’on nous l’avait appris au cours de l’instruction. Les bruits des explosions se succédaient dans la poterne et aux abords immédiats du fort. Le capitaine voulut à nouveau rebrousser chemin ; nous avions très peur, mais il fallait vaincre cette peur. Je m’interposai et lui dis : ‘‘Mon capitaine, nous ne pouvons continuer ainsi à jouer au chat et à la souris.’’

– Allez-y, me dit-il. »

Ainsi, après bien des tergiversations, le capitaine Vamecq sort avec un porteur de drapeau blanc et un clairon. Le pont est lancé sur le fossé devant l’entrée.

UNE REDDITION PRÉCIPITÉE

Les décisions de Vamecq au moment où il sort du fort sont à l’origine de la reddition en désordre du fort. Son rapport explique les circonstances particulières du dernier acte du drame :

« Je sors par la poterne avec l’homme portant le drapeau blanc et le trompette. Nous nous arrêtons tous les trois devant le pont qui est à ce moment retiré. Le tir qui était dirigé contre le Bloc I cesse après quelques sonneries. Un gradé allemand bondit devant la grille et dirige vers nous sa mitraillette. Il nous fait signe d’avancer. Je demande à l’homme portant le drapeau blanc de faire amener le pont et comme il me dit que le bloc semble être vide, je sors seul avec le trompette, en laissant, derrière le pont retiré, l’homme portant le drapeau blanc. Comme cela, je suis certain d’avoir quelqu’un qui me livrera le passage quand je voudrai rentrer dans le fort. Dès ma sortie, je suis encadré par deux sentinelles allemandes et conduit seul vers un officier qui se trouvait à gauche du bloc I, à hauteur du sentier conduisant au massif. Cet officier parle français. Il me demande si je suis le commandant du fort. Je lui réponds que non, que le fort est commandé par un major et que je suis envoyé par lui comme parlementaire et qu’il demande comme condition de la reddition du fort :

1. les honneurs militaires ;
2. la possibilité d’évacuer les blessés.

Il me répond : « Nos batteries vont toujours en avant ». Je ne comprends pas au moment même et je lui demande à pouvoir parler au commandant des troupes assiégeant le fort. Il me fait conduire par deux sentinelles vers le pont du Geer. Dans mon esprit, on me conduit vers le commandant des troupes avec qui je vais parlementer. C’est en arrivant au-delà du pont où l’on m’arrête pour me fouiller qu’en me retournant, je vois, sans comprendre, ce qui se passe : un groupe d’hommes du fort franchit la grille. J’ai interrogé le soldat qui était resté derrière le pont et il m’a avoué, sur les injonctions d’un gradé allemand :

1. être allé chercher cinquante hommes dans le fort pour les faire sortir ;
2. avoir ouvert le pont. »

Les analyses réalisées sur base du rapport de Vameck précisent « qu’en laissant le porteur du drapeau blanc à la poterne, cela indiquait que le fort se rendait. Ce qui était inexact. De plus, ce drapeau et son porteur gênaient la vue et l’action de la poterne qui auraient dû assurer la défense de celle-ci et pouvoir assurer la liaison avec le parlementaire lors du retour de celui-ci. Le capitaine Vamecq n’a pas refermé ou fait refermer la grille du fort après son passage, ce qui aurait empêché d’accéder à la poterne ».

En conséquence, la garde du fort laissée à un simple soldat a permis à l’officier allemand de faire sortir la garnison sans que le commandant du fort puisse faire quelque chose. C’est fini, plus aucune négociation n’est possible, le fort considéré comme le plus puissant d’Europe est définitivement tombé après seulement 36 heures de combat.

Selon le relevé des communications radio de la 4.Panzer-Division, l’Infanterie-Regiment 151 annonce la reddition à 14h50, heure allemande, soit 13h50 heure belge.

Avec la perte d’Ében-Émael s’effondre en même temps le front du canal Albert, obligeant l’état-major belge à abandonner Liège et à se replier derrière sa seconde ligne de défense. Le retentissement de cette nouvelle catastrophique est annonciateur des plus grands désastres pour les alliés qui comptent sur une résistance plus longue afin d’installer leur dispositif s’appuyant sur la ligne KW.

Pour les paras, la fin des combats et la relève sont synonymes de décorations. Ils recevront enfin leur permission pour visiter leur famille qu’ils n’ont plus vue depuis le début de leur entraînement spécialisé. Wenzel termine son rapport par ces mots : « Vers midi, après l’arrivée de nombreux pionniers sur le fort, nous nous rassemblions pour le départ. Les morts étaient au nombre de six, les meilleurs ; ils avaient été rassemblés et nous les avions identifiés.

Nous avons alors marché jusque Maastricht où nous avons passé la nuit. Le lendemain, nous avons été transportés, par camion, à Cologne. »

Le passage que vous venez de lire est tiré de l’ouvrage de Hugues Wenkin. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à vous plonger dans l’ouvrage disponible dès aujourd’hui.

« Ében-Émael, l’autre vérité-réédition » de Hugues Wenkin
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